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Montaigne est né en 1533 au
château de Montaigne dans le Périgord. Son père, héritier
d’une famille enrichie par le négoce, est le premier à abandonner
sa profession pour vivre en gentilhomme. Il s’attache à donner une
bonne instruction à son fils. À six ans, après avoir reçu les
enseignements d'un précepteur allemand qui ne lui parle qu’en
latin, Montaigne entre au collège de Guyenne à Bordeaux,
réputé pour son enseignement. À treize ans, il apprend le droit à Toulouse
et, en 1554, il est conseiller à la Cour des aides de Périgueux.
Ses fonctions ne lui plaisent guère et la rencontre avec La Boétie
en 1557 lui ouvre de nouvelles voies.
- Il fréquente la Cour jusqu’à la mort de
son père en 1568. Il peut alors vendre sa charge et se retirer dans
ses terres pour se consacrer à l’écriture et à la méditation. Il
ne quitte sa fameuse « librairie » qu'en de rares occasions,
lors de voyages pour des raisons politiques (il déjoue les intrigues
de la Ligue), ou encore pour remplir ses charges de maire (de
1583 à 1585). Dès 1572, il entreprend la rédaction des Essais,
dont la première édition paraît en 1580. Ses dernières années
sont consacrées à une nouvelle version, publiée après sa mort
survenue en 1593.
- Les Essais sont d'abord le livre
d'un grand lecteur et le fruit de cette retraite intellectuelle que
leur auteur décida de prendre en 1570. La lecture, mais aussi le fait
de noter sur les textes ses propres commentaires, sont pour lui « source
de délices ». Cependant, peu à peu Montaigne se met à
exprimer à son tour sa pensée personnelle. Le ressort de sa démarche
est le « connais-toi toi-même » socratique, développé en
« Fay ton faict et te cognoy ». L’idée directrice de son
oeuvre est que tout homme porte en lui « la forme entière de
l’humaine condition ». En s’analysant lui- même, Montaigne
souhaite instruire et mobiliser son lecteur en l’incitant à suivre
son exemple. En 1576, il fait graver une médaille qui porte sa
devise, Que sais-je?, qui sera le point d'ancrage de toute son
oeuvre et le fondement d'une nouvelle forme de pensée où le doute
devient l'expression du devoir intellectuel.
- Montaigne n’a plus l’enthousiasme encyclopédique
de Rabelais;
son scepticisme est un fait nouveau dans l'esprit de la Renaissance,
animé à sa source par une grande confiance en la nature humaine.
Mais les guerres de religion ont rendu Montaigne suspicieux à
l'égard de toute certitude. Son scepticisme débouche sur une sagesse
qui interdit désormais de juger en matière de morale, de politique
ou de religion. Révolutionnaire dans sa critique, Montaigne est
cependant conservateur dans la pratique : pour lui, mieux vaut ne rien
changer que de remplacer une vérité suspecte par une autre. Le
savoir, la mesure, la connaissance de soi sont les seules voies de la
sagesse pour vivre en accord avec la nature en se préparant à la
mort.
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Rappelons
que l'essai I,26, Montaigne est adressé à une femme noble, et
prodigue des conseils pour l'éducation d'un jeune noble. Il
vrai que Montaigne élargit lui-même la portée de sa réflexion
pédagogique; en outre, définir
un programme d'éducation pour un enfant qui n'est pas encore né,
c'est se donner la plus grande liberté possible. Mais quel est
le but de l'éducation ? Il n'est pas facile de dire, au premier
abord, quel type d'homme Montaigne a en vue lorsqu'il se fait pédagogue.
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La
réponse la plus simple à la question de la norme est celle de
l'honnête homme. Montaigne n'a manifestement pas pour but de
former un philosophe, encore moins un professeur de sagesse. Il privilégie
l'adaptation à la société et l'action.
Pourtant, le fait que Montaigne continue à se référer avec
insistance à la philosophie, et maintienne l'idée de la sagesse,
vient compliquer ce modèle.
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Montaigne
pédagogue, dans l'essai I,26, présente le modèle de l'honnête
homme. L'éducation a pour but l'assimilation la plus rapide et la
plus complète de l'individu à la société dans laquelle il vit.
A cette fin, il s'agit de conduire le jeune homme à renoncer à toute
particularité qui pourrait choquer ou gêner autrui. "Toute étrangeté
et particularité en nos moeurs et conditions est évitable comme
ennemie de communication et de société et comme monstrueuse. (...)
Et pourvu qu'on puisse tenir l'appétit et la volonté sous boucle,
qu'on rende hardiment un jeune homme commode à toutes nations et
compagnies, voire au dérèglement et à l'excès, si besoin est."(I,26,166).
La fin principale de l'éducation, suivant ce modèle, est la "communication
et société" avec autrui. Afin d'atteindre ce but, on
acceptera, le cas échéant, quelques entorses aux règles de la
stricte vertu, preuve que l'éducation est guidée par l'impératif de
sociabilité, non par un idéal moral.
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La
règle pédagogique que reconnaît Montaigne, dans cette
perspective, est donnée par la coutume. "C'est à la
coutume à donner forme à notre vie (...)."(III,13,1080). La
nature et la raison ont perdu le premier rôle dans l'éducation. Cela
ne veut pas dire que la pédagogie de Montaigne serait, de parti-pris,
une pédagogie conservatrice et irrationaliste. On
a le paradoxe suivant : c'est dans l'adoption des coutumes les plus
diverses que je fais l'exercice concret de ma liberté. La "vigueur"
est le terme concret qui désigne chez Montaigne cette liberté.
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La
critique de la "discipline" contient à l'évidence une critique
de l'éducation traditionnelle, qui s'effectue par préceptes. Son
but est de contraindre l'enfant à conformer sa vie aux préceptes. A
l'idéal du sage stoïcien, Montaigne oppose celui de l'honnête
homme. Ce qui le caractérise, c'est l'aptitude à changer, l'inconstance
faite vertu.
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Le
mode d'éducation que Montaigne propose dans l'essai I,26 est rendu
beaucoup plus clair et plus cohérent, si l'on garde à l'esprit le
modèle de l'honnête homme. Montaigne appelle "honnête
homme" un homme capable de vivre et de plaire dans la société.
Il reprend les éléments de l'éducation aristocratique, pour mieux
marquer son opposition à un idéal scolaire de l'éducation. Ce que
le jeune homme doit acquérir, ce sont les règles et les éléments
du savoir-vivre. Le pédagogue devra détourner les jeunes gens
d'une application excessive aux livres : "cela les rend
ineptes à la conversation civile, et les détourne de meilleures
occupations."(164) Les meilleures occupations désignent les
activités douées d'un plus fort coefficient de valeur sociale que la
lecture.
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La
référence fréquente à la philosophie et aux philosophes viennent
cependant compliquer les choses. L'éloge de la philosophie
occupe une place de choix dans l'essai I,26. Il
dénonce l'illusion de ceux qui voient la nature, là où il n'y a que
la coutume. Les Essais,
soucieux de montrer la diversité humaine, ont pour but d'assainir le
jugement : "Qui
voudra se défaire de ce violent préjudice de la coutume, il trouvera
plusieurs choses reçues d'une résolution indubitable, qui n'ont
appui qu'en la barbe chenue et rides de l'usage qui les accompagne;
mais, ce masque arraché, rapportant les choses à la vérité et à
la raison, il sentira son jugement comme tout bouleversé, et remis
pourtant en un bien plus sûr état."(117a)
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